lundi 6 septembre 2010

Alabama Song de Gilles Leroy aux Éditions Mercure de France, 2007


Nous sommes maintenant en septembre. Qui dit septembre dit rentrée, qui dit rentrée dit rentrée littéraire. La rentrée littéraire est un événement qui n'existe qu'en France. Cet événement franco-français est avant tout un énorme business pour les éditeur et les libraires. Ensuite, cela donne l'occasion à nos chers amis critiques de nous présenter des livres dont-ils sont persuadés qu'ils seront le prochain Goncourt ou Renaudot. Enfin, on a le droit de retrouver les "grands auteurs", et cette année encore un Houellebecq et cette année encore un Nothomb, au secours...



Cette semaine, je ne vous présenterai pas l'une des 701 nouvelles oeuvres de la rentrée littéraire. Cette semaine c'est le Goncourt 2007 : l'Alabama Song de Leroy, un titre magnifique, poétique et romantique qui laisse un peu rêveur.



Ce roman se veut être l'autobiographie revisitée de Zelda Sayre, l'épouse de Francis Scott Fitzgeral (The Great Gatsby). Il raconte la tragédie de cette femme, de ce couple. Zelda a jeté son dévolu sur Scott, sans vraiment savoir qui il était vraiment. C'est une écorchée vive qui fait tout pour rejeter le politiquement correct et sa famille bourgeoise de Montgomery.

C'est la vie mondaine des années folles qui est dépeint tout au long de ce livre. On retrouve le couple star qui est toujours en représentation avec les gens qu'il rencontre. Ils sont avides de notoriété. Certains trouvent que le personnage de Zelda est fascinnant, moi je ne trouve pas. Je la trouve attachante mais triste et j'ai vraiment de la pitiée pour elle. Je regrette qu'elle n'ai pas claqué la porte. Leroy arrive presque à rendre Fitzgerald détestable, il apparaît comme un alcoolique puant. Par contre, on sent la tendresse qu'il éprouve pour Zelda, il vie à travers son personnage. 

A la lecture du roman, on trouve finalement que le couple est très en avance sur leur époque, c'est limite de la téléréalité ou Voici. C'est un roman noir, l'histoire d'un couple misérable. C'est une vie d'excès, d'autodestruction. 

Pourquoi lire cette sombre histoire ? Tout simplement parce que le style de Leroy est magnifique, très poétique, en voici un  superbe extrait :

"Ai-je été assez punie ? On dirait que non. 
... Cauchemar me revient, suffocant des arènes de Barcelone. Ces hommes en noir comme une assemblée de croque-morts, leurs grosses femmes en noir, voix de bêtes égorgées sous le chapeau de paille, leurs enfants dégoûtants, excités à la vue du sang.
Et le sang ne manqua pas. Il paraît qu'elles sont très belles, les arènes de Barcelone, j'y étais, je devrais m'en souvenir, mais je ne me rappelle pas les mosaïques. Je revois la foule endimanchées, parfumée, quelques reliefs de tortilla éparpillés sur les chemises blanches et les corsages noirs. Je revois la parade; la fanfare; je l'entends; et la clameur; je revois le cheval candide, allant son trot léger, presque magique caparaçon vermeil, et je me souviens d'avoir peiné avec lui, d'avoir prié pour lui, un soleil de mort éblouissait la place en ricochant sur l'apparat grotesque (l'armure grinçante du cheval, oui, et les boléros vert et or des cavaliers) et c'est out juste si je reçois la tête noire au naseaux écumants incliner ses cornes sous le ventre du cheval puis, l'ayant embroché, soulever telle une chiffe cette poupée de mille kilos de muscles et de dorures. Le cheval, sans un son, bascula : de son ventre ouvert coulaient les entrailles. Le temps de comprendre, le sable était une mare de sang. Cheval éventré les quatre fers en l'air. Le métal doré de son déguisement aveugle encore les spectateurs, qui n'a servi à rien, ne l'a protégé de rien. Et près de nous, dans les gradins, Croque-morts, en foule rouspétant, Femmes empaillées se signant et leurs Infants vêtus de blanc hurlant de plaisir à l'odeur du sang chaud. Et tout contre moi, blottie, les yeux cachés sous ses petites mains, il y a Patti, quatre ans à peine. Ma fille en moi réfugiée. Ma fille enfouie dans ma poitrine et hurlant au secours. Je la décolle à peine de moi, je vois ses larmes, je vois surtout que le sang est en train de quitter son visage adoré, alors ma fille se dresse et chancelle, lève sur son père et Lewis un regard blessé, et d'entre mes bras ma fille s'évanouit, tombe sur le gradin, meurt, on dirait.
Ce jour-là, un cheval a été sacrifié afin que la barbarie trouvât son dû. Et la barbarie fut doublement flattée : après l'interminable agonie du cheval traîné par un char sur le sable honteux, elle eut droit à l'exécution du taureau criminel dont le sang ne bouillonna pas moins en longues gerbes généreuses. L'un hennissait et se débattait, ses yeux affolés se révulsaient de ne pas comprendre, ses jambes dressées au ciel imploraient une raison; l'autre, le noir criminel, avait entre les omoplates un sabre si long qu'il le  traversait de part en part et le fit fléchir sur ses pattes avant et se rendre (si tant est qu'il y ait eu bataille) et lorsqu'elle le vit ainsi courbé et rendant les armes la Foule des gradins se dressa pour hurler sa Joie, les Fossoyeurs ouvrirent leurs braguettes, les Femmes arrachèrent leurs mantilles et toutes se ruèrent sur les Queues puantes que le Jour du Seigneur il est permis de communier, et tandis qu'elles avalaient le Corps du Christ et la Semence du Père, les Infants terrorisés cherchaient où donner de la bouche, où comment inventer une nouvelle Boucherie, une autre Foutrerie, et cela suçait, palabrait, étudiait, tandis que sur son brancard le méchant taureau mal achevé pleurait encore comme un tout petit veau. Et personne n'avait plus un regard pour lui, l'émissaire mourant, naguère si dangereux, naguère appelé le Diable."

Un magnifique roman américain écrit par un français, lisez-le vous passerez un très bon moment.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire